Taxinomicus amusentum

Dire que vous pensiez que la taxinomie était rébarbative !

Un des grands défis des sciences dites naturelles a été de pouvoir nommer les êtres vivants, car comment s’entendre entre scientifiques du monde entier, professionnels ou amateurs, pour désigner et converser sereinement sur des sujets d’études similaires ?

L’Homme se plait à nommer, répertorier et classer toute chose qui l’entoure ce qui a très vite, dans l’histoire des sciences, nécessité d’établir une nomenclature normalisée. Aujourd’hui la science de la taxinomie (science de la classification) utilise la nomenclature binominale ou binomiale (de binôme) en latin, qui se compose d’un nom de genre (avec une majuscule à la première lettre) suivi d’un nom d’espèce (en minuscule) le tout en italique, chaque être vivant étant également désigné par un nom vernaculaire ou nom commun.

Dessin ci-contre : Les affres de la classification !  (1)

Prenons l’exemple de l’Homme (non commun français), scientifiquement nommé « Homo sapiens », dénomination constitué du nom de genre « Homo » suivi du nom d’espèce « sapiens » provenant de l’adjectif latin signifiant « intelligent, sage ». Notons également que le binom peut devenir trinon et comporter une épithète infraspécifique, c’est-à-dire une distinction supplémentaire au sein de l’espèce « Homo sapiens sapiens » : homme moderne qui désigne donc une sous-espèce d’« Homo sapiens ».

La longue histoire de la dénomination

Dès l’Antiquité, Homère et Hésiode, poètes et philosophes grecs (VIIIe siècle avant notre ère), vont utiliser les premières dénominations de plantes. Ils seront suivis par Sophocle et Hérodote. Les quelques essences végétales répertoriées pour leurs propriétés (comestibles, médicinales ou toxiques) sont alors désignées par un seul nom. Théophraste, disciple d’Aristote, rédige vers l’an 300 avant notre ère, un traité de botanique dans lequel il distingue les arbres, arbustes, arbrisseaux et herbes et utilise les premières  désignations binomiales. Discoride, médecin grec, poursuit les travaux de Théophraste décrivant toujours plus d’essences végétales (il publie De materia medica en latin entre 50 et 70 de notre ère). Ce sera Pline l’Ancien qui, à Rome, vers 77 de notre ère, reprend les termes de cette nomenclature botanique, en traduit certains en latin et y adjoint de nouveaux végétaux, essentiellement italiens.

Photo ci-contre : Buste de Théophraste (Source wikipédia).

La Renaissance voit, en 1551, Conrad Gesner (naturaliste suisse, 1516-1565) utiliser deux noms latins, un genre suivi d’un qualificatif. Avec les grandes explorations au cours des XVe et XVIe siècles et les découvertes foisonnantes d’espèces en tout genre, des dénominations polynomiales, composées de noms suivies de phrases descriptives, apparaissent. Il devient alors nécessaire de simplifier les nomenclatures, 

ce que tente de réaliser Gaspard Bauhin, médecin et botaniste suisse (1560-1624) en revenant à une nomenclature binomiale.

Longue est la liste de tous les contributeurs à l’évolution de la dénomination, mais le plus célèbre d’entre eux reste le naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778) qui systématisa l’usage de deux noms afin de désigner tous les êtres vivants. Il a définitivement établit les règles de la  nomenclature binomiale, bien qu’avant lui, Joseph Pitton de Tournefort, s’y essaya en 1694 dans Eléments de botanique ou méthode pour connaitre les plantes. Linné ne se limita pas aux plantes car dans Systema naturae publié en 1735, il applique la classification binomiale aux règnes animal, minéral et végétal. La renommée de Linné est internationale, mais il rencontre une opposition de la part des philosophes de Lumières qui « lui reprochèrent le principe de fixité des espèces que sa classification implique, le manque de recours à l’expérimentation et à la raison, et une trop forte emprise de la religion et du créationnisme dans ses travaux » (https://jardinage.lemonde.fr/dossier-2194-carl-von-linne.html).

 

Photo ci-contre : Portrait de Carl Von Linné (Source wikipédia).

 

Dénominations savoureuses !

De nos jours, cette nomenclature est couramment utilisée. Les règles de dénomination des êtres vivants sont édictées par la Commission internationale de nomenclature qui recommande des dénominations à valeur descriptive, cependant, une grande liberté est attribuée aux auteurs, notamment concernant les noms d’espèces. Il faut dire que les découvreurs doivent faire face à une quantité toujours plus importante d’espèces à décrire. L’imagination a pu largement s’exprimer, notamment à partir des années 1970.

Les auteurs ont parfois dédié leurs taxons :

- à des personnalités : Jefferson (troisième Président des Etats-Unis) fut plusieurs fois honoré avec Megalonyx jeffersoni en 1822 par Anselme Desmaret ou avec Mammuthus jeffersoni en 1922 par Osborn.

- à des divinités : comme le fit Hugh Falconer en 1832 pour désigner des vertébrés fossiles avec Sivatherium (Siva dieu hindou destructeur), Visnutherium ou Brahamatherium, dieux hindous respectivement protecteur (Vishnou) et créateur (Brahma) ;

Ou comme Alphaeus Hyatt le fit avec Hildoceras en 1867, pour décrire une ammonite en référence à Sainte Hilda.

- à des artistes : peintres (Pseudoparamys cezannei -pour un petit rongeur-), acteurs (Norasaphus monroeae -pour un trilobite-) ou écrivains (Arthurdactylus conandoylensis -pour un ptérosaure-).

Photo ci-contre : Un trilobite en hommage à Marilyn Monroe ! (2)

Les exemples sont légion. Certains vont notamment mettre en avant leurs préférences musicales, qu’elles soient modernes ou anciennes. Assez récemment, Jonathan Adrain, Gregery Edgecombe et Brian Chatterton nomment des trilobites selon les membres du groupe des Beattles : Avalenchurus lennoni et A. starri (pour John Lennon et Ringo Stars), Struszia mccartneyi (pour Paul McCartney). Les Rolling Stones ne sont pas en reste avec notamment Aegrocatellus Jaggeri (pour Mick Jagger) et Perirehaedulus richardsi (pour Keith Richards) (6). Plus classique, Jean Vannier opte pour Jeanlouisella verdeloti, ostracodes ordoviciens nommés en hommage à Paul Verdelot, musicien de la Renaissance.

Photo ci-contre : Un trilobite en hommage à Mick Jagger ! (6)

Les personnages de fiction littéraires sont également appréciés. En 1978, Leigh Van Valen, biologiste évolutionniste américain, admirateur des ouvrages de John Tolkien et notamment du Seigneur des Anneaux, attribue les noms d’espèces Earendil ou Mithrandir à des mammifères du Paléocène. Pour continuer avec le 7e Art, si le nom du dinosaure Jurassosaurus nedegoapeferima à priori ne vous évoque rien de connu, c’est que vous ne savez pas encore que le financeur est Stephen Spielberg lui-même, qui en 1993, réalise Jurassic Parck, the lost word. Le nom de cette espèce fait référence aux principaux acteurs de ce film : Sam Neil, Laura Dern, Jeff Goldblum, Richard Attenborough, Bod Peck, Martin Ferrero, Ariana Richards et Joseph Mazzello ! Notons également que le célèbre réalisateur a également donné son patronyme à un ptérosaure (Coloborhynchus spielbergi).

Photo ci-contre : Tianchisaurus (Jurassosaurus), genre de la famille des Ankylosauridae. Une seule espèce est connue : nedegoapeferima. Ils ont vécu pendant la période du Jurassique moyen en Chine. (3) 

Quelques curiosités également avec, pour nommer des dinosaures, le nom le plus court, Mei ou le plus long Micropachycephalosaurus. Le record étant détenu par un foraminifère Pseudopalaeospiroplectammina ! (ouf !).

Certains se montreront reconnaissants envers les initiateurs et financeurs de leurs recherches, tel que Larry G. Marshall, Christian de Muizon et B. Sigé en 1993, avec le mammifère paléocène Roberthoffsteteria nationalgeographica (sans commentaires !).

Passons sur les dénominations grivoises avec l’ostracode Colymbosathon ecplecticos, littéralement « nageur au long pénis », ou bien légèrement offensantes à l’égard de certains collègues avec Dinohyus hollandi, « le porc du miocène » en référence peu flatteuse, à William Holland, directeur du Carnegie Muséum en 1905 et homme peu apprécié, vous l’aurez compris ! Notons que la Commission internationale de nomenclature zoologique (ICZN en anglais) et celle de botanique (ICBN) demande un certain respect et sérieux dans l’attribution des noms.

Enfin, notons que certaines dénominations peuvent être entachées d’erreurs du fait d’une connaissance incomplète de l’espèce lors de sa découverte. Des erreurs qui peuvent s’avérer par la suite difficile à rectifier. Le serpent de mer Basilosaurus est décrit par Richard Harlan en 1834 (le suffixe -saurus, signifiant reptile, le nom complet pouvant se traduire par « lézard royal » en grec ancien) mais sera identifié par Richard Owen en 1842 comme un cétacé. Le nom n’ayant pu être modifié, ces baleines portent le nom d’un reptile !

Photo ci-contre : Basilosaurus isis, exposé au
Muséum d'histoire naturelle de Nantes (Source Wikipédia).

Enfin, revenons un instant sur les terminaisons des noms d’espèces et leurs significations. Voici quelques règles générales à suivre (4, 5) :

  • « i » est généralement dédiée à un homme (Coloborhynchus spielbergi, pour Steven Spielberg),
  • « ae » est généralement dédiée à une femme (Norasaphus monroeae, pour Marylin Monroe),
  • « orum » dédiée à plusieurs personnes (morelletorum pour les frères Morellet),
  • « ensis » est généralement utilisé pour une localité (Parascutella leognanensis, pour la ville de Léognan en Gironde),
  • « ii » dédiée à une personne dont le nom se termine déjà par i (Spirulirostra bellardii, en l’honneur de Monsieur Bellardi),
  • « um », « us », « is » quand les noms spécifiques sont tirés d'un nom propre (Arthurdactylus conandoylensis).

 

Mais certaines terminaisons peuvent faire l’objet d’autres constructions orthographiques ! (terminaisons en « os », « ium », …).

Loin d’être monotone ou rébarbative, reconnaissons que la taxinomie vous apparait à présent sous un autre jour, révélant bien des facettes ! La science est aussi une affaire d’imagination. Amis paléontologues, amateurs et professionnels, à vous de colorer la recherche paléontologique...

A quand l’Aturiae apbaticum ???

 

Bibliographie

ALLAIN Y.-M. (2012). Une histoire des jardins botaniques, Entre science et art paysager. Éditions Quae, 112 p.

BABIN C., GAYET M. (2009). Histoire pittoresque de la Paléontologie. Editions Ellipses, 439 p.

BARRAL J.-A., DUPUIS A. (2019). Le règne végétal. Précis de l'histoire de la botanique. Texte. Edition HACHETTE BNF, 576 p. (texte original de 1864-1869).

LAMENDIN H. (2012). Carl von Linné : Médecin précurseur de la pharmacie moderne (1707-1778) (Médecine à travers les siècles). Editions L'Harmattan, 128 p.

MAGNIN-GONZE J. (2015). Histoire de la botanique. Editions ‎ Delachaux, 384 pages p.

 

Sitographie

(1) http://souterweb.free.fr/biospeleo/pages/biospeologie3.htm#

(2) https://bashny.net/t/es/87713

(3) https://jurassicpark.fandom.com/wiki/Tianchisaurus

(4) https://clubgeologiqueidf.fr/accueil/2018/03/25/taxonomie-et-nomenclature/

(5) https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/00378941.1905.10835927

(6) https://www.wax-science.fr/quand-les-stars-du-rock-donnent-leurs-noms-a-des-etres-vivants/

https://www.tela-botanica.org/2018/11/carl-von-linne-pere-de-la-classification-des-plantes-missionbotanique/

https://lagazettedesplantes.com/2020/06/01/une-introduction-a-la-nomenclature-binominale/

https://jardinage.lemonde.fr/dossier-2194-carl-von-linne.html

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